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24 – Hommages à eux
Je les avais aimés

Au milieu, ma grand-mère
A cinquante ans
Revenons à ma grand-mère. J’adorais la voir faire en un tour de main ses fleurs artificielles, cuisiner de bons petits plats avec les légumes de son jardin, s’occuper de ses poules et de ses lapins. Je suis certain qu’elle connaissait le lourd secret qui m’entourait, même si un doute subsiste encore. Quel que soit l’endroit où elle se trouvait — Brie-sur-Marne, Le Creusot, La Courneuve, Drancy — j’étais toujours heureux de la voir.
En 1975, elle est tombée gravement malade. Elle a souffert le martyre. Le 31 mai, je suis allé la voir pour lui annoncer ma belle histoire avec Patricia et prendre de ses nouvelles. Mais la voir ainsi m’a bouleversé. Ma tante m’a dit : « Tu sais, ta grand-mère ne va pas bien… Je crois que c’est la fin. »
La médecine du cancer en était à ses balbutiements. À 82 ans, il n’y avait plus rien à faire. Alors pourquoi un médecin a-t-il décidé de la faire transporter lamentablement à la clinique privée du Blanc-Mesnil, proche de son domicile ? Pourquoi lui infliger cette dernière souffrance alors qu’elle hurlait : « Laissez-moi mourir » ? Ce moment a marqué ma vie à jamais. Je l’ai accompagnée avec ma tante et mon oncle Joseph le mari de ma tante, "un ancien résistant espagnole".
Tout ça pour une simple perfusion censée lui redonner la pêche… Mais ce médecin était un nul. Cette perfusion, c’était juste une question d’argent.
Ramenée chez elle l’après-midi même, elle a été recouchée. Elle s’endormait, se réveillait avec des vomissements horribles, des râles affreux. Ma tante et moi la soutenions pour qu’elle soit mieux. Je suis resté près d’elle. Elle m’a murmuré des mots incompréhensibles, puis : « Je vais mourir… J’ai mal… » Et puis, plus rien. Après quelques secondes, j’ai dit : « Tata… tata… c’est fini… » Elle est morte en pleurant. Ma tante, dans un premier temps, ne m’a pas cru. Puis, elle a compris. J’avais perdu ma chère grand-mère. Elle, sa maman.
Quelques mois plus tôt, ma grand-mère avait perdu son dernier compagnon : Jean-Marie Charpentier. Le pauvre n’avait plus de famille. Que faire de lui ? Après un conseil de famille (ma tante, Joseph, Lulu, sa fille Bernadette, ma mère, etc.), ils ont décidé de lui offrir une concession de 10 ans pour le remercier de ses années aux côtés de ma grand-mère. Elle n’avait pas été enterrée avec lui. Il est vrai qu’il la considérait plus comme sa bonne. Un homme dur, mais pas mauvais, ancien ingénieur minier, résistant de 39-45.
Mémé la mère de notre père

Le lendemain de sa mort, j’ai reçu un appel au travail. C’était mon frère Alain, je crois. Après plusieurs mois sans nouvelles et toujours avec en tête cette lettre bleue pleine de rancune, je me suis dit : « Pourquoi ne pas lui rendre un hommage, le remercier de sa gentillesse… » (Je plaisante bien sûr !)
Allongé dans son cercueil, les joues creuses, blême… Il avait souffert. Un cancer du rectum l’avait emporté. Il aurait pu vivre quelques mois de plus s’il avait accepté une dernière opération et la pose d’un anus artificiel. Mais la fierté, la bêtise… ou tout simplement : marre de vivre.
Il laissa la mère avec trois enfants : Dominique (10 ans), Thierry (8 ans) et Patrick (6 ans).
(Ajouter 3 ans après cette photo)
Notre chère gendarme
La mère a géré tant bien que mal ses trois derniers, aidée par notre chère tante Raymonde, qui s’occupait aussi de Bernadette, notre petite cousine, en difficulté. À 15-16 ans, elle n’était pas farouche et enchaînait les aventures. Mes frères se vantaient d’avoir eu ses faveurs… Avec un père en prison pour pédophilie et une mère un peu simplette, Lulu, elle était souvent livrée à elle-même. Les deux sœurs de ma tante lui devaient beaucoup.
Notre tante travaillait au tri postal avec son mari Joseph. On s’est toujours demandé ce qui les avait rapprochés : peut-être l’âge, la solitude… Joseph n’avait jamais quitté sa mère. Sous Franco, sa famille avait fui l’Espagne et il avait passé son adolescence dans le Sud de la France. À plus de 50 ans, il avait rencontré notre tante, devenue une nouvelle mère pour lui. Ensemble, ils avaient pratiquement adopté Bernadette jusqu’à son mariage et la naissance, à 17 ans, de sa fille.
Notre tante avait un don rare. Au XVIᵉ siècle, on disait : « Le roi te touche, Dieu te soigne et te guérit. » Elle soulageait les souffrances par l’apposition des mains. Mais chaque soin la fatiguait énormément. Son professeur de théologie, qui avait découvert ce don, l’avait prévenue. Hélas, une fois retraitée, elle n’en a pas profité longtemps : un cancer généralisé a eu raison d’elle. Le mal s’est propagé rapidement.
Elle le savait, elle allait mourir. La veille, elle a voulu nous voir : Bernadette, René, Jacques, Alain, moi, les trois derniers frères… Allongée, toute frêle, cette femme de caractère n’était plus qu’un corps. Elle nous a accueillis avec dignité, nous a parlé de projets pour chacun de nous.
À l’approche de la mort, certains semblent aller mieux, comme un sursaut d’énergie. Cela déroute parfois la famille, comme ce fut notre cas. Mais la nuit suivante, elle est partie. Elle avait vu ceux qu’elle aimait : elle pouvait s’en aller.







Le cancer c'est vraiment une saloperie...
RépondreSupprimerAu fils de mes articles et de mes souvenirs j'ai positionné cette page en vingt-quatrième position, c'était aussi pour rendre hommage à mon très cher frère Alain et surtout dénoncer mes autres *soit-disant frères* de n'avoir pas trouvé le temps de venir à ses tristes obseque, Alain était le meilleur de nous tous il avait souffert {comme moi d’ailleurs} du manque d'affection de nos parents...
RépondreSupprimerCette fameuse lettre bleue si on me le demande je la poserai ici même
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